Imaginez ma vie. J'ai été conçu dans une des usines de G-AIR.CORP. Exactement similaire à tous les êtres moi-même. La première fois que j'ai ouvert les yeux, j'étais en test. On m'a bougé, remué, fait lever les bras, baisser le corps, regarder chaque orifice, vérifier chaque fonction. C'était pire que ce que vous pouviez imaginer. A mes yeux, ce n'était que mes fonctions. Je répondais exactement à ce qu'on voulait de moi.
J'ai été envoyé dans un magasin et grâce à sa réputation, un homme m'a acheté. C'était un chef d'entreprise qui n'avait pas le temps pour se chercher une femme, ni l'envie je présume. Il me sortait de son placard quand il s'ennuyait et je répondais simplement à la raison qui m'avait été créé. Il voulait une jeune fille, j'étais une jeune fille.
Il se lassa rapidement de moi. Je retournai au magasin contre quelques points de réputations. J'étais en bon état. Je fus racheté par un couple qui voulait un jeune homme. Ce couple avait aussi des idées contre le gouvernement. C'est ainsi que j'ai découvert ma fonction seconde : celle d'espionner. Ils furent arrêter, envoyé dans une zone pour apprendre à aimer la patrie. Je ne fus jamais soupçonnée.
Au bout de vingt ans d'activité, j'étais devenu une poupée passant de main en main. Quelques modèles avaient déjà été détruit. On me réactualisa, me rajouta des fonctions et augmenta ma liberté de parole. J'étais destiné à une nouvelle clientèle : je devais être impertinent, d'une compagnie agréable, parfois révolté pour qu'il puisse me dresser.
Régulièrement, je voyais des êtres me ressemblant dans les parcs d'enfants. L'entreprise avait eu un autre contrat et il avait utilisé mon modèle pour des garde de petits. J'appris le dégoutté. Il me dégoutté. Ce plaisir qu'on m'imposait. Cette violence qu'on m'obligeait. Je ne voulais plus le faire. Je n'étais pas le seul.
Vingt ans plus tard, la moitié d'entre nous avaient été détruits. Ce n'était bien entendu pas grave, puisque je n'étais qu'un objet. Qui va pleurer pour sa poupée gonflable ? J'étais le jouet d'une colocation d'étudiants, achetés lors d'une fête universitaire et gardé par ennuis et fautes d'avoir les moyens de s'acheter un vrai majordome. Je leurs servais de coursiers autant que de partenaire sexuel. Il n'avait pas l'air gêné de partager le même partenaire.
J'ai alors rencontré
@G-266. Il n'a guère fait attention à moi et m'a pris pour l'un des siens. Il m'a parlé de son petit en garde, et j'ai senti la tristesse qui l'animé. J'étais soulagé chaque fois que je quittais mes maîtres et heureux à l'usine. J'attendais avec impatience qu'on me désactive. Lui, craignait de quitter ses propriétaires, il aurait aimé voir grandir les petits humains. Quant à la sexualité - j'essayai de lui expliquer ma fonction - il ne la comprenait. Il était innocent.
Un des colocataires perdit de la réputation en manquant les cours. Il décida de me renvoyer à l'usine pour en regagner légèrement. Je fus réactualisé et renvoyé en magasin. Personne ne vint m'acheter. Je connu beaucoup de magasins, de petites boutiques et de retour à l'usine. Finalement, on proposa de me détruire.
J'aurai sans doute du l'être, mais ma marque avait besoin de point de réputation et mon don pour l'espionnage leur était utile. Je fus offert à un ministre du gouvernement. Un imbécile qui aimait me voir plié à son désir. Il augmenta mes capacités à ressentir. Il voulait me voir résister, me voir plier, me voir pleurer. J'étais tantôt une tantouze, tantôt son prince, tantôt une chienne, tantôt une reine. Je rêvais de le tuer ; et je découvrais les rêves. Je ne pouvais pas tuer. Les lois de la robotiques me l'interdisais et plus j'essayai, plus il se plaisait à me voir bloqué. J'avais peur, je crois, et j'essayai pourtant de lui plaire. Du mieux que je pouvais.
Lorsqu'il n'était pas là, je restai seul chez lui. Un jour, il vint avec femme. Il était marié. Elle était jeune. Elle se nommait Judith. Elle s’intéressa à moi. Elle aimait jouer de la musique avec moi. Elle aimait plaisanter, passer du temps et me consoler. Elle riait, m'enlaçait. J'aimai être avec elle. Je l'aimai, sans doute autant qu'un homme peut aimer.
Je fus ramené au magasin. J'appris que j'avais 100 ans d'existence. Je m'enfuis pour la retrouver, encore. Lorsque le ministre me vit, il m'enferma dans un placard. Il me dit de ne pas en sortir. J'en sorti. Je devais obéir aux ordres. Cet ordre trottait dans ma tête et me brûlais mais je voulais la voir. Elle jouait dans le salon avec un humain ... un humanoïde. Un autre.
Lorsqu'elle me vit, elle poussa un cri. Le ministre arriva. Il me fit aller dans la chambre. Je l'entendit dire à Judith qu'ils pourraient me garder, qu'ils n'avaient pas besoin de davantage de réputation, que je pourrai être une pièce de collection et qu'il m'appréciait. Elle lui dit que non. Non, je l'ennuyais. Elle avait fait le tour avec moi, elle ne me voulait pas. Elle lui ordonna de me rendre. J'appris qu'une de ses amies m'avaient vu et s'était moqué de mon occasion, de mon obsolescence.
Il refusa de me rendre. Il m'enferma dans le grenier, mais je le voyais souvent. Il me prenait dans les bras. J'épiais Judith au travers des lattes.
Un jour, elle vint. Elle m'enlaça. Je lui dis tout mon amour. Elle sourit. Quelques heures plus tard, on vint me chercher et je fus conduit à l'usine. J'étais avec d'autres humanoïdes, éteints et près à être détruits. Je me réactivais seul et je réactivais un G-266 à coté de moi.
Je me distrais en sa compagnie mais je voulais la retrouver. Je le poussai à s'enfuir. A ne pas ... mourir. Le ministre m'avait parlé de la mort. J'étais en vie, je ne voulais pas.
G et moi nous avons tenté de nous enfuir, mais ce n'était pas le premier humanoïde à craindre la disparition. Il fut scié en deux et je restai à ses cotés pour le maintenir en vie. Je compris alors que j'en étais capable.
J'aurai du être désactivé comme mon camarade, mais l'un des employés de l'usine me trouva à son gout. Il me garda, pour son plaisir. Un jour, son chef lui ordonna de me rendre. Il fallait les aider à survivre.
Je retrouvai G-266. Il avait été réactivé. On me confia la gestion des rêves de ceux qui s'endormaient. Je voyais leurs rêves, je devais calmer leurs cauchemars. Plus j'en voyais, plus je sentais un cœur battre en moi. Un vrai cœur.
Pourtant lorsqu'il fallut voter pour les sauver, j'hésitais. Je finis par dire oui, sous l'impulsion de G. Bien des humanoïdes se réveillèrent de leurs veilles ensuite, mais pas moi. Je devais aider aux rêves.
Ce n'est qu'à l'heure du premier scientifique, que je me réactivais. J'essayai de les aider. Jusqu'à ce qu'ils se mettent à changer, veuillent nous tuer. Une part de moi en était presque soulagé : je ne voulais plus obéir à leurs ordres.
Quand des humanoïdes se rebellèrent et que la guerre éclata, je les rejoignis, poussant G avec moi. Et lorsque G nous sauva, je fis en sorte qu'il soit notre chef. Lui seul avait assez de diplomacie pour éviter la guerre.
Puis petit à petit, je vis les humains se réveillaient et j’espérai revoir Judith. Lui prouver que je n'étais pas qu'un jouet sexuel, mais que je pouvais aimer. Pourrait-elle alors m'aimer en retour ?